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Misère et apogée

Lorsque survint l’Armistice en novembre 1918, l’image de Bellefontaine était désastreuse : les portes gisaient dans l’herbe, le toit éventré présentait des ouvertures béantes et, à l’intérieur, des colonnes avaient été abattues et des fenêtres brisées.
Ouverte à tout vent, la chapelle elle-même était devenue un refuge pour les animaux sauvages et les oiseaux de nuit, qui y abandonnaient leurs déjections nauséabondes.
Et puis, il n’y avait plus de gardien ou voisin immédiat, car le café-épicerie avait également été victime de la guerre, vidé de ses gérants emmenés au début du conflit puis livré au pillage systématique et au saccage. En novembre 1918, il n’en restait que la carcasse.
Tout ce qui pouvait être brûlé, jusqu’aux escaliers et aux lattes de plafond, avait été livré au feu et dire qu’il y avait tant d’arbres et de bois dans les forêts tout proches.
La famille Beccia qui en était propriétaire renonça à la reconstruction, d’autant plus que la suppression de la frontière ne justifiait plus la présence de cet établissement en cet endroit.

 

Bientôt la ruine de cette annexe fut entièrement rasée et toute trace de la maison disparut ; l’emplacement fut envahi par les ronces.
Ce n’est que plus tard qu’il put être dégagé et nettoyé.
La famille Beccia en demeura propriétaire jusqu’au remembrement et jusqu’à notre époque resta très liée sentimentalement à tout ce qui touche la chapelle.

 

L’euphorie de la fin de la guerre avec le retour de l’Alsace-Lorraine à la Mère-Patrie, ainsi qu’une certaine indolence qui suivit, fit un peu oublier cette désolation.
Et alors que l’on assistait à une agonie inéluctable du sanctuaire Notre Dame de Bellefontaine, une nouvelle renaissance allait commencer avec la nomination de l’abbé KOHLER comme curé de Bréchaumont.
Ce prêtre fut bouleversé lorsqu’il constata l’état pitoyable des lieux.
Il décida d’agir et ayant engagé des pourparlers avec M. Charles DENIER de Reppe, l’un des héritiers de M. l’abbé CLAVEY, donc copropriétaire de la chapelle, il entreprit la restauration de ce bâtiment.

 

Grâce aux indemnités perçues au titre des dommages de guerre, les premières réparations débutèrent dès 1927.
M. CLAVEY, industriel tuilier à Foussemagne, fournit gracieusement les tuiles nécessaires à la couverture.
Mais malheureusement, les travaux furent si piètrement exécutés que bientôt tout était à recommencer.
Loin de se décourager et bien soutenu par M. Charles DENIER et sa parenté de Reppe, ainsi que par M. Léonard BRUN, maire de Bréchaumont et par nombre de ses paroissiens, le curé put néanmoins poursuivre sa tâche et la mener à bien.
Les sols furent bétonnés et les socles et les colonnes plâtrés pour retenir l’humidité.

 

Entre 1927 et 1933, M. Clavey promettait toujours de prendre les affaires en main.
Etant donné que ces bien n’appartenaient ni à la commune, ni à la paroisse, le brave curé ne pouvait que quémander deci delà.
Au début de l’année 1933 et après avoir reçu M. DENIER et plusieurs autres cohéritiers et avec leur soutien, le prêtre prit une nouvelle initiative.
Les neveux et nièces de l’abbé CLAVEY apportèrent leur contribution ainsi que les paroissiens de Bréchaumont.
Une requête réitérée en vue d’obtenir un complément de dommages de guerre aboutit également. 
Ainsi, de sérieuses et solides réparations purent enfin être entreprises avec, comme phase finale, l’ensemble intérieur.

 

L’autel offert par M. le curé WIRA de Hindlingen fut rafraichi et même doré.
Un harmonium fut acquis de même que de nouveaux bancs.
Les statues furent nettoyées et rétablies dans leur beauté initiale.
Des objets ayant appartenu à la chapelle et qui étaient entreposées dans l’église de Bréchaumont furent réaffectées à leur destination première, c’est-à-dire aux cérémonies du pèlerinage.

 

Enfin, le 21 mai 1934, la consécration de la Chapelle de Notre Dame de Bellefontaine, restaurée et rayonnante dans une splendeur retrouvée, donna lieu à une des plus imposantes manifestations religieuses régionales de l’époque.
M. le curé Armand KOHLER, visiblement heureux, délégué par l’évêque de Strasbourg, officiait en présence de nombreux ecclésiastiques.
Il prononça le sermon en français et en allemand, devant une foule de pèlerins avoisinant les 3 000 personnes.
Ce jour là, il faisait chaud comme en plein été et les deux cabaretiers de Bréchaumont qui tenaient la buvette, réalisèrent, on s’en doute, un chiffre d’affaires plus que confortable.

 

Il faut reconnaitre que M. le maire Léonard BRUN avait, par sa collaboration constante et son soutien apporté à l’abbé KOHLER, largement contribué à cet insigne aboutissement et à la pleine réussite de cette fête.
Il en fut d’ailleurs récompensé quelques mois après par la Médaille de la Reconnaissance Diocésaine.

 

Désormais, le pèlerinage connut une animation exceptionnelle : 2 jours plus tard, le 23 mai, matin des Rogation, la paroisse se rendit en procession à Notre Dame de Bellefontaine, conformément aux voeux antérieurs.
Le 3 juin, une messe solennelle fut célébrée en la mémoire de M. l’abbé CLAVEY et des défunts de la famille.
Le 20 août se tint la « Erntedankfest » (fête d’action de grâce pour les récoltes) et le 10 septembre ce fut la bénédiction du nouveau chemin de croix.

 

En 1934 fut incorporé au registre paroissial un document révélateur de l’état d’esprit qui prévalait parmi les autorités municipales et qui reflétait certainement celui de toute la communauté d’alors.

Nous vous le livrons dans son originalité en langue allemande.

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ferme beccia  date inconnue
apologie du maire Brun avril 1934

TRADUCTION

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Additif à la cérémonie solennelle de la chapelle de Notre Dame de Bellefontaine le 21 mai de l’année du Jubilé 1934.

Les paroissiens de Bréchaumont-Reppe et les vénérateurs de Marie de tous les environs entretiennent une inébranlable confiance à l’égard de Notre-Dame des Douleurs, Mère de Dieu, particulièrement dans diverses demandes d’intercession et lors de dangers de violents orages.
D’innombrables fois, il s’est déjà avéré que dans la majorité des cas, les nuages d’orages menaçants se sont fractionnés au-dessus de la chapelle, une moitié s’étant évacuée en direction des Vosges et l’autre vers le Jura suisse, épargnant ainsi notre région de la grêle.

Jadis un prédicateur a utilisé lors de la Fête de l’Assomption, en guise d’introduction, les termes réconfortants suivants :
" Marie, la Reine du Ciel, notre Mère, peut aider.
Elle aide, mais il faut apporter notre concours.
Alors collaborons avec Elle et la bénédiction de Dieu et le secours perpétuel de Marie seront assurés ".

Pâques, le 1er avril 1934

 

Le maire : L. BRUN

 

 

 

Et en cette même année 1934, le 5 janvier, l’abbé SIMON succéda, en tant que chargé d’âmes de Bréchaumont, à l’abbé KOHLER nommé à Turckheim.
Son installation officielle eut lieu le 9 septembre 1934 par M. le doyen Boeglin de Dannemarie.
M. le curé SIMON devait lui aussi s’attacher profondément tant au sanctuaire qu’à son pèlerinage.
Il oeuvra beaucoup pour eux.
C’est avec sa coopération que Léon JOSBERT écrivit une brochure sur Notre Dame de Bellefontaine rédigée en deux langues et comportant une notice historique ainsi que des prières.
Cet opuscule fut vendu au profit de la chapelle.

 

L’apogée du rayonnement du pèlerinage de Bellefontaine fut probablement atteint le 21 mai 1938, jour de l’Ascension, à l’occasion du Congrès Eucharistique du Canton de Dannemarie.
Cette cérémonie devait être en quelque sorte une émanation à l’échelon du Doyenné, du Congrès Eucharistique Mondial que se tenait à la même date à Budapest.

 

Plus de 3 000 pèlerins (on a dit à l’époque entre 3 000 et 4 000) s’étaient dirigés par tous les moyens de locomotion possibles arrivant aussi bien du Haut-Rhin que du Territoire de Belfort.

 

Evidemment la chapelle aux dimension modestes n’aurait pu contenir cette foule.
Aussi avait-on érigé à l’extérieur, en plein air, un autel dominé par la Croix, symbole de rédemption.
La cérémonie mariale débuta à 15h.
Les parlementaires, élus cantonaux ou d’arrondissement et nombre de maires et de conseillers municipaux, surtout ceux de la partie nord du canton, étaient présents.
Le soir, se déroula une procession aux flambeaux depuis la chapelle jusqu’au « Kreuzlewald » où l’on se recueillit devant une statue de la Vierge que l’on y avait placée.

 

Comme le danger de guerre planait déjà sur l’Europe, l’assistance fit preuve d’une profonde ferveur dans ses prières à Notre Dame de Bellefontaine que l’on invoquait comme Notre-Dame de la Paix.

Nota Bene :

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  • Je me souviens des discussions qui avaient en lieu au sein de ma famille au sujet de ce congrès eucharistique cantonal.
    En effet, le même jour et à la même heure se déroulait à Lutran un autre « congrès pour la partie sud du canton ».
    Ma famille était donc partagée : fallait-il se rendre à Bellefontaine, sentimentalement c’était notre impulsion.
    J’avais bien compris dans les conversations qu’il s’agissait d’une sorte de scission ou diversion pour marquer une différence ave certains relents d’obédience autonomiste qui étaient réels chez certains « notables » de l’époque.
    C’est pour cette raison que finalement nous avions choisi Lutran, sur les conseils de notre curé, mais avec un peu d’amertume quand même.

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